Sustainability

Les émissions du Scope 3 : Au-delà de la réglementation, une opportunité de transformation

Share this post:

Depuis de nombreuses années, le sujet des émissions de gaz à effet de serre [1] (GES) est au centre de l’agenda de la lutte contre le changement climatique. Le GHG Protocol [2], qui fait référence en la matière, catégorise les émissions en 3 périmètres distincts ou « Scopes ».

Pour rappel, le Scope 1 s’intéresse aux émissions des entreprises en lien direct avec leurs opérations internes et sous leur contrôle, et le Scope 2 regroupe les émissions considérées comme indirectes et liées à leur propre consommation d’énergie (électricité, gaz…) et de chaleur (chaleur et froid vapeur et eau chaude…).

Si ces 2 premiers scopes se concentrent sur les émissions directement imputables à une entreprise du fait de ses opérations, le troisième périmètre (Scope 3) est beaucoup plus vaste et complexe puisqu’il englobe l’ensemble des émissions de la chaîne de valeur en amont et en aval des opérations internes d’une entreprise, et donc en dehors de son contrôle direct.

 

Figure 1 – Greenhouse Gas (GHG Protocol) – Corporate Value Chain (Scope 3) Accounting and Reporting Standard

 

Le Scope 3 englobe 15 catégories d’émissions allant des biens et services acquis aux investissements comme représenté sur le graphique ci-dessus (Figure 1). Le plus souvent, le scope 3 constitue la part du lion des émissions d’une entreprise et il peut représenter jusqu’à 90% des émissions totales. Identifier le périmètre complet du Scope 3 est complexe car il dépend de l’écosystème d’une entreprise plutôt que de l’entreprise elle-même. Cette complexité découle de la diversité des partenaires (fournisseurs, distributeurs, clients, gestionnaires des déchets…), et de leur propre difficulté à identifier leurs émissions. Tracer les frontières du Scope 3 nécessite une analyse approfondie et une collaboration étroite avec toutes les parties prenantes de l’écosystème.

Naturellement, de par sa centralité dans la dynamique de transformation de l’écosystème, le Scope 3 s’impose comme l’un des sujets incontournables de la transition vers une entreprise plus durable.

Toutes les organisations, grandes ou petites, doivent se mettre en ordre de bataille dès aujourd’hui, prendre le sujet comme un pilote d’une transformation durable globale de l’entreprise, établir une stratégie efficace pour d’aborder le sujet et définir la méthode pour embarquer dans cette démarche complexe leur écosystème, sans lequel cet effort serait vain.

 

Le Scope 3, un pilote de la transformation durable

Alors que les règles de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), la nouvelle directive européenne établissant les obligations déclaratives extra-financières futures en matière de durabilité, sont en cours de transposition au niveau national dans toute l’Union [3], de nombreuses entreprises s’interrogent sur l’étendue réelle de leurs obligations futures ainsi que sur la méthode pour aborder et traiter cette problématique cruciale au sein de leur organisation. Traiter le sujet des émissions du Scope 3 va bien au-delà d’une simple obligation réglementaire. Il s’agit, pour les entreprises, de comprendre et d’intégrer pleinement à leur vision stratégique l’impact de leurs activités sur l’environnement.

C’est une opportunité pour les entreprises de s’engager dans une transformation d’envergure qui encourage à repenser entièrement leur chaîne de valeur. En lançant cette transformation, elles pourront non seulement mesurer leur contribution positive à l’environnement, mais aussi stimuler l’innovation dans leurs procédés de fabrication comme dans la conception de leurs produits. En simplifiant et en améliorant la gouvernance de leurs fournisseurs, en rationalisant leur portefeuille de fournisseur et et augmentant la maîtrise de la chaîne d’approvisionnement, ce processus peut agir comme un déclencheur et un catalyseur des changements nécessaires pour l’ensemble de l’organisation.

En analysant chaque étape de la chaîne de valeur, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie du produit, les entreprises ont l’opportunité de prendre pleinement conscience des leviers d’action à leur disposition pour minimiser leur empreinte environnementale au-delà des seules émissions de GES.

La démarche d’évaluation du Scope 3, peut ainsi servir de socle fondateur à une approche plus holistique en matière de durabilité en traitant la question de la méthode et de la mesure de l’impact.

En entamant ce premier mouvement vers une collecte transparente des données environnementales sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, les entreprises s’engagent dans une trajectoire qui va au-delà des seuls GES. Elle les place sur la voie d’une compréhension de leur impact environnemental dans son ensemble avec la prise en compte progressive des autres indicateurs environnementaux essentiels comme la sécurité et la qualité de l’approvisionnement en eau, la pollution des sols, de l’air et de l’eau, la préservation des écosystèmes, la perte de biodiversité, la gestion des déchets dangereux.

Bien plus qu’une simple mise en conformité, l’analyse approfondie du Scope 3 se révèle être une opportunité de transformation majeure. Elle incite les entreprises à repenser entièrement leur chaîne de valeur et à promouvoir l’innovation dans leurs processus. Cette démarche est essentielle pour pouvoir analyser, cartographier et prioriser l’action. Elle ouvre la voie à une transformation stratégique durable, éclairée par une compréhension complète de la chaîne de valeur.

 

Définir une stratégie : analyser, cartographier et prioriser

Adresser la réalité de son Scope 3 ne se résume pas simplement à un exercice comptable ; c’est également une question d’identification et d’affectation de ses émissions indirectes. Cela exige de se saisir de l’intégralité de sa chaîne de valeur, de l’analyser minutieusement et de la cartographier avec précision du « berceau à la tombe » [4] afin de comprendre et d’intégrer tous les flux d’approvisionnement, l’ensemble des canaux de distribution de ses biens et services, en incluant bien entendu les cycles de fin de vie.

Une cartographie précise et complète est fondamentale, car on ne peut analyser, changer, innover ou réinventer que ce que l’on conçoit clairement.

Ce n’est qu’après avoir établi cette cartographie réalisée qu’il devient possible de catégoriser, typer et rattacher chaque émission aux opérations réelles, tant en amont qu’en aval de la chaîne de valeur (Figure 2).

 

Figure 2 – Exemple de segmentation des émissions sur l’ensemble d’une chaîne de valeur

 

Cette cartographie détaillée ne fournit pas seulement une vue graphique des activités de l’entreprise et de ses flux, elle permet également d’identifier et d’intégrer ses dépendances, ses forces et faiblesses, ses risques et les opportunités qui s’ouvrent à elle.

Une action sur toute la chaîne dès le départ est utopique, mais une fois ce mapping terminé, il devient possible de matérialiser et positionner les émissions, d’appréhender l’étendue de la tâche et enfin de prioriser l’action en fonction de l’impact.

Mieux l’on connait son organisation et son écosystème, plus il est aisé de les transformer.

 

Embarquer son écosystème : quelle stratégie d’acquisition de la donnée ?

La collecte de données de qualité est au cœur de toute stratégie d’évaluation quantitative ou qualitative. Que ce soit pour estimer ou remplir ses obligations de déclarations extra-financières, il est indispensable pour une organisation de disposer de données fiables dont les sources sont clairement identifiées et leur niveau de confiance évalué. Le défi de l’obtention de ces données fiables est fondamental et requiert la mise en place de stratégies pour les acquérir, les certifier, les maintenir et les exploiter. En ce qui concerne l’acquisition et la certification, la stratégie est double, axée sur l’amont comme sur l’aval.

Pour l’amont, il s’agit d’adresser l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de l’entreprise et d’établir une segmentation complète des émissions de gaz à effet de serre en se concentrant d’abord sur les partenaires directs. Cette approche exige une collaboration étroite avec ses fournisseurs de rang 1, avant de s’étendre vers l’amont de leur propre chaîne de valeur (rang 2 et au-delà). Une intégration efficace de cette stratégie nécessite une organisation structurée à tous les niveaux, et une vision « glocale » [5]. Cette démarche englobe une collecte précise des données d’émissions directes et indirectes de chaque partenaire, visant à obtenir une vision complète et détaillée de leurs impacts environnementaux directement attribuables.

Le second volet de cette stratégie est orienté vers l’aval et aborde les émissions associées à l’utilisation des biens et services de l’entreprise, ainsi que celles liées à leur fin de vie. C’est à ce niveau que le sujet de la circularité prend toute son importance, impliquant de repenser la chaîne de valeur existante au regard des concepts tels que le réemploi, le reconditionnement, la réutilisation, le recyclage et le traitement des déchets ultimes.

 

 

Cette approche s’aligne sur la redéfinition de la stratégie amont, créant un cycle circulaire vertueux, connu sous le nom de « Cradle to Cradle » [6] en opposition au cycle linéaire traditionnel « Cradle to Grave ».

La sélection et l’identification minutieuses de chacune des sources pertinentes avec chaque partenaire pour permettre leur certification sont alors incontournables.

 

 

Figure 3 – Cradle to Grave vs. Cradle to Cradle

 

La centralité de la donnée et de sa gouvernance

Une fois les données nécessaires acquises et leur origine certifiée, la question de leur qualité devient essentielle. La fiabilité des informations est primordiale pour garantir une base solide pour toute évaluation environnementale de qualité.

Cela implique non seulement de s’assurer de bonne transmission de la donnée mais aussi l’exactitude des chiffres, en prenant en compte l’origine de la formation ou du calcul de ces données. Des sources de confiance et transparentes sont essentielles pour établir une gouvernance robuste autour des données environnementales.

Une donnée primaire, basée sur une mesure réelle des émissions par l’acteur à laquelle elle se rattache, a évidemment une valeur supérieure à tout autre type de donnée et doit être identifiée et utilisée comme telle. Ces données seront malheureusement rares au départ. Il faudra souvent se contenter, pour commencer, de données hybrides que l’on a reconstituées à partir de mesures réelles et vérifiables d’activité (kilowattheure ou litre d’essence ou de gazole réellement consommé par exemple) auxquelles sont appliqués des taux de conversion spécifiques réels et certifiés pour les transformer en émissions équivalent carbone.

Il faudra, autant que possible, combattre les données reconstituées à partir des dépenses ou spend-based ou pire à partir de moyennes de marchés ou average-based. Ces deux dernières méthodes ne peuvent être utiles qu’a priori parce qu’elles ne peuvent que fournir des données partielles et partiales insuffisantes pour fonder aucune action crédible et mesurable en termes d’impact puisqu’en plus de négliger l’impact statistique de la variation naturelle des prix des matières premières et de l’inflation, importante ces dernières années mais sans aucun rapport avec une quelconque quantité d’émissions, elles n’ont en plus aucun rapport avec la réalité des émissions pour une opération donnée et ne permet donc aucun comparatif actionnable.

Enfin, la gouvernance de ces données implique la mise en place de structures et de processus qui régissent la collecte, le stockage, la gestion et la mise à disposition de ces informations. Une approche stratégique dans ce domaine est essentielle pour assurer la cohérence, la traçabilité et la conformité aux normes. Les entreprises devront ainsi envisager des solutions techniques et technologiques telles que des plateformes centralisées, certifiées et partagées avec leur écosystème pour la gestion efficace des données environnementales, facilitant l’accès, la mise à jour et l’analyse tout en assurant la sécurité et la confidentialité nécessaires au secret des affaires.

La qualité et la gouvernance des données deviennent ainsi des piliers fondamentaux d’une démarche environnementale réussie inclusive et transparente. La traçabilité, la documentation et l’auditabilité de chaque donnée restant essentielles et centrales à chaque étape de ce processus.

 

Figure 4 – Démarche de l’analyse d’impact

 

Agir sur son Scope 3 revêt une importance capitale pour les entreprises souhaitant transformer de manière efficace leur chaîne de valeur et réduire leur niveau total d’émissions de GES. Cette démarche implique une analyse approfondie et une cartographie précise de l’intégralité de la chaîne de valeur de l’entreprise, facilitant ainsi la priorisation des actions à entreprendre. De manière tout aussi cruciale, agir sur son Scope 3 requiert une collaboration étroite avec l’ensemble des partenaires de la chaîne de valeur. Cette coopération permet de mettre en œuvre des pratiques environnementales positives à chaque étape du processus et garantit la fiabilité et la qualité des données extra-financières.

La fonction achat représentant souvent la source la plus importante de l’ensemble des impacts environnementaux, et pas seulement pour les émissions du Scope 3, il apparaît donc comme pertinent pour une entreprise qui se lance dans cette démarche de l’élargir, dès l’origine, à l’ensemble des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance en la couplant à une réflexion plus large sur la fonction achat dans son ensemble et au-delà du seul Scope 3.

Comptabiliser son Scope 3 offre donc bien plus qu’une simple mise en conformité. C’est une opportunité pour les entreprises de connaître leurs partenaires, refonder leurs relations avec eux et, grâce à une analyse approfondie, élaborer une feuille de route vers une empreinte environnementale et sociétale réduite largement au-delà des seuls gaz à effet de serre, tout en créant un écosystème de confiance le long de leur chaîne de valeur.

Pour aller plus loin : sur cette même thématique de la durabilité nous nous proposons de poursuivre la réflexion dans nos prochains Points de Vue en traitant des stratégies de mise en place de la CSRD dans les entreprises et sur la transformation de la fonction achat en y intégrant des pratiques d’achats durables (Sustainable Procurement).

 

[1] Les différents gaz définis par le Protocole de Kyoto sont au nombre de 7 : le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O), les PFCs (perfluorocarbures), HFCs (hydrofluorocarbures), les hexafluorures de soufre (SF6) et le trifluorure d’azote (NF3)

[2] https://ghgprotocol.org/

[3] La France vient d’adopter sa loi de transposition et l’a publiée au Journal Officiel du 07/12/2023 https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=fOTM7ilGbxcYwc159WYE-8kXQ6zD77WWCC2B1aFBUYU=

[4] Cradle to Grave : cycle de vie linéaire, de la naissance à la mort

[5] Globale et locale

[6] Cradle to cradle : du « berceau au berceau » – cycle de vie circulaire, de la naissance à la « renaissance »

 

Cet article a été corédigé par :

Antoine Michaux

Managing Consultant, Sustainability Services, IBM Consulting France

Consultante Junior, Sustainability Services, IBM Consulting France

More Sustainability stories
3 juillet 2024

Intégration par design : la clé de la réussite de la transformation cloud

La transformation cloud est un processus complexe qui nécessite une planification méticuleuse et une exécution soignée pour réussir. Alors que les organisations se lancent dans la transformation du cloud, elles se concentrent souvent sur la migration des applications et des données vers le cloud, négligeant un aspect critique : l’intégration. L’un des défis majeurs que […]

Continue reading

14 juin 2024

Gestion de l’obsolescence logicielle : véritable enjeu pour la DSI et le business

Dans le paysage numérique actuel, les applications logicielles sont le pilier des entreprises modernes. Cependant, avec l’évolution rapide de la technologie, l’obsolescence logicielle est devenue un défi majeur pour les organisations. Les logiciels obsolètes peuvent entraîner des vulnérabilités de sécurité, des crashes système et une productivité réduite, affectant ainsi la performance commerciale et la compétitivité. […]

Continue reading

12 juin 2024

Simplifier les déclarations liées à la CSRD grâce aux nouvelles fonctionnalités d’IBM®Envizi™

IBM a le plaisir d’annoncer la prise en compte de la directive européenne (CSRD) dans le module « sustainability reporting manager » d’IBM® Envizi™. Cette considération aidera les entreprises à répondre aux exigences de reporting de la directive européenne (CSRD). La CSRD impose aux entreprises de fournir des informations et des indicateurs définis via les […]

Continue reading